Lettre III

La Comtesse d'Ostalis à la Baronne

La jour même de votre départ, ma chère Tante, j'ai été, ainsi que vous m'avez ordonné, chez Madame de Limours; elle m'avait fait fermer la porte le matin, mais elle me reçut le soir. Je l'ai trouvai un peu d'humeur & beaucoup de chagrin, elle pleura en me voyant, ensuite se répandit en plaintes contre vous, & me traita avec une froideur dont je pénétrai facilement le motif, et qui ne venait en effet que d'un mouvement de jalousie causé par l'idée que j'étais depuis longtemps dans la confidence du secret que vous aviez été forcée de lui cacher. J'aurais pu lui dire: ma tante, ma bienfaitrice, ma mère, celle à qui je doit mon éducation, mon établissement, mon existence, pourrait-elle avoir quelques réserve avec son enfant, & pourvoit-elle craindre de sa part le objections & les oppositions qu'elle devait redouter de la vôtre? Mais je suis heureusement rappelée une de vos maximes, qu'il défend d'employer la raison pour combattre l'humeur, & je pris le parti du silence. J'ai dîné hier chez elle, & je l'ai retrouvée à peu près dans la même situation: elle avait assez du monde: j'ai vu plusieurs personnes chercher à l'aigrir encore contre vous, ma chère Tante, en répétant avec affectation qu'il était incroyable, inconcevable, que vous ne l'eussiez pas mise dans votre confidence: de manière que, dans cet instant, son amour-propre est trop blessé pour que vos lettres aient pu produire tout l'effet que vous en attendiez: mais son cœur est si bon, elle vous aime si véritablement, elle a naturellement tant de franchise, & elle puisse conserver longtemps toutes ces fâcheuse impressions.

M. d'Ostalis n'ira à son régiment que le première de Juin; & moi je partirai le même jour pour le Languedoc. Quel sera mon bonheur, ma chère Tante, de me retrouver dans vos bras, après une absence de quatre mois et demi; de revoir mon oncle, & l'aimable Théodore, & la charmante petite Adèle; & qu'il me sera cruel de me séparer encore de ces objets si chers à mon cœur! Adieu, ma chère Tante, n'oubliez pas votre fille aînée, votre enfant d'adoption, qui dans tous les instants de sa vie, pense à vous & vous chérit autant qu'elle vous respecte & vous admire.

Mes deux petites Jumelles sont toujours en parfait santé; elles commencent à prononcer quelques mots François & Anglais & elles me procurent déjà les plaisirs le plus doux que je puisse goûter en votre absence.