Lettre IV

La Vicomtesse à la Baronne

Il ne faut pas, dites vous, bouder son Amie, lorsqu'elle est à deux cents lieues; mais faut-il aussi lui pardonner de manquer à tous les devoirs de l'amitié? Si vous savez une maxime qui prescrive cela, vous auriez bien fait de la citer, car celle-là seule pouvait appuyer votre raisonnement. Il s'agit bien de bouder; je ne vous boude pas; mais je suis outrée et blessée jusqu'au fond de l'âme Vous n'avez point de parente plus près, pas même Madame d'Ostalis, puisque je suis votre cousine germaine, & qu'elle n'est que votre nièce au millième degré; vous n'aviez point d'amie plus tendre & plus ancienne; &, dans la seule occasion de votre vie ou vous pouviez me donner une véritable preuve de confiance, vous me traitez comme une étrangère!_____ En effet, il y a bien de quoi bouder un peu, il faut en convenir! Ce n'était pas entièrement votre secret, vous partez pour quatre ans, & c'est un secret d'un autre! Mais, mon Dieu, quelle esclave êtes-vous donc? M. d'Almane vous avez ôté le droit de le confier, c'est-à-dire défendu. Vous êtes assurément une femme bien soumise; et lui un despote bien impérieux. Pour moi maintenant, je puis aussi recevoir les secrets de M. de Limours sans être seulement tentée de vous faire part, mais dans les temps où j'étais persuadée que vous m'aimiez, j'aurais trahi pour vous tous les maris du monde; enfin, j'avais tort, vous me le prouvez, & je me corrigerai. Vous prétendez que j'aurais dû deviner se que vous n'osez me confier, parce que vous aviez été triste à souper; comme je ne vous ai jamais vu une gaieté bien remarquable, & que le distraction vous rend assez souvent sérieuse, j'avoue que je n'ai pas été frappée de cette prétendue tristesse; au reste, c'était la vielle de votre départ; & quand j'aurais pénétré quelques heures plus tôt un projet médité depuis deux ans, en vérité, je n'en aurais pas été plus satisfaite de vous. Je sais que vous attachez très-peu de prix à l'opinion publique dans les choses qui n'intéressent point l'honneur, & c'est un bonheur pour vous dans cette circonstance; car vous êtes universellement blâmée. On trouve qu'il est bizarre d'aller élevez ses enfant au fond du Languedoc, surtout quand on possède une terre charmante à six lieues de Paris, ou vous auriez pu vivre dans la retraite, sans être forcer d'abandonner vos amis, & sans être privée des maîtres qui vous manqueront où vous êtes; les uns disent que vous n'avez préféré le parti que vous avez pris, que pour amour-propre, afin d'avoir l'air de faire un sacrifice plus éclatant; d'autres assurent (& c'est le plus grand nombre), que vous êtes ruinée, & que l'arrangement seul de vos affaires vous a fait quitter Paris; on débite encore beaucoup d'autres conjectures, mais si absurdes qu'elles ne méritant pas d'être rapportées. Que puis-je répondre à tout cela, si ce n'est que le soleil de Languedoc est plus bien que celui de Paris & ces environs; car voilà jusqu'ici la seule raison que vous m'ayez donnée; si vous avez d'autres, je vous demande en grâce de m'instruire; il sera toujours cruel pour moi d'être forcée à garder le silence quand je vous entendrai accuser d'inconséquence & de bizarrerie. Adieu. _____ Ce n'est pas adieu jusqu'à ce soir, jusqu'à demain, c'est adieu pour quatre ans, pour ma vie peut-être!______voilà une pensée qui n'est pas gaie!_____Comment une seule idée mélancolique peut-elle ainsi tout-à-coup amollir le coeur?_____mes yeux se remplissent des larmes_____je ne suis presque plus en colère de vous; mais je suis triste à mourir. Écrivez-moi, écrivez moi promptement & avec détail. Vous voyez de quelle rancune je suis capable; que je suis faible! Après cet aveu, je puis convenir encore que je vous aime toujours, & qu'il m'est impossible de vivre sans vous le dire, & sans vous en voir persuadée.