Lettre VIII

Réponse de la Vicomtesse

Cela vous est bien aisé a dire; n'allez plus aux spectacles, renoncez au bal de l'Opéra, &c. je n'aime plus tout cela, mais que mettrai-je à la place? Songez donc que Flore a quatorze ans, qu'elle ne fait rien, n'a de goût pour aucune talent, excepté celui de la danse; et que ce malheur est maintenant sans remède, sa sœur n'a que quatre ans, elle ne peut pas conséquent m'occuper toute la journée; l'une est trop âgée pour que mes soins puissent lui être utiles; l'autre, trop jeune pour en avoir besoin encore; que prétendez vous donc que je fasse de tout le temps que vous voulez me donner?___Je vois d'ici votre indignation, je vous entends: Lisez, réfléchissez, en attendant que vous puisiez agir. Fort bien, mais la lecture me fait mal aux yeux, & la réflexion me tue. D'ailleurs vous avez assez lu, assez réfléchi pour nous deux; je vous croirai sans examen; vous me dicterez à mesure ce qu'il faudra dire & faire, j'exécuterai ponctuellement; ne me demandez ni étude ne méditation, j'en suis incapable; mais je vous promets de la confiance & de la docilité. Plaisanterie à part, je ne puis me décider à un meilleur parti, je me défie de ma raison, & je connais la vôtre; il vaut mieux s'en tenir à un guide déjà bien éprouvé, que d'en prendre un dont on n'a jamais fait qu'un très-léger usage.

J'entends avec impatience ces détails minutieux que vous m'annoncez; bien sûre que tous les résultats en seront intéressants, & que vous saurez en tirer des conséquence utiles & véritablement instructives. J'ai trop peu l'habitude de m'appliquer pour qu'il vous fût possible de fixer mon attention, en m'offrant des préceptes & des maximes; il me faut des tableaux & des exemples. Mais je désirais cependant que vous me donnassiez une idée générale de vos principes d'Éducation pour les filles; apprenez mois quelles sont les qualités qu'on doit le plus cultiver en elles, & les défauts que vous jugez les plus dangereux; quel est enfin le genre d'instruction qui leur convient le mieux? Il est singulier que je ne sois pas parfaitement instruite de toutes vos opinions à ce égard; vous êtes sans cesse occupée de vos enfants, mais vous n'en parlez jamais, & d'ailleurs je serai bien aise de retrouver encore dans vos Lettres, les détails même que j'ai pu obtenir de vous dans la conversation, parce que l'ordre & l'enchaînement des idées les graveront dans ma tête d'une manière ineffaçable.

Oui, ma chère amie, je suis toujours aussi peu satisfaite de Flore, elle sera plus étourdie, plus coquette que ne l'a jamais été sa mère; je ne sais si votre élève vous égalera, pou mois je suis certaine d'être surpassée par la mienne; je plaisante, mais c'est pour m'étourdir; je vous assure qu'au vrai, je ne suis que trop affectée de ne pas voir en ma fille toutes les qualités qui pourraient assurer le bonheur de ma vie. Il est vrai que dans ma jeunesse j'étais comme elle, vive, inconséquente & légère; mais du moins j'étais sensible, je ne manquais ni d'élévation ni générosité; aussi si je n'ai fait que les des imprudences, & si j'ai peut-être donnée lieu quelquefois la malignité de noircir ma réputation, j'ai dû conserver l'estime de tous ceux qui m'ont connue. Si j'étais sure que Flore eût un bon cœur, je me flatterais encore de pouvoir la corriger de ses défauts; il y a des moments ou j'espère, & dans d'autres je suis absolument découragée. Pour ma petite Constance, elle fait toujours me délices, elle est d'une bonté & d'une douceur inaltérable, & jamais enfant ne promit davantage. Enfin, la prude, la droite, la pédante Miss Bridget mange donc à table avec vous; je crois en effet qu'elle est bien orgueilleuse! Dit-elle aussi souvent: je suis surprise! avec ce visage froid & composé, sur lequel jamais l'étonnement n'a pu se peindre! Au reste, je vous prie de lui faire mes compliments, elle sera sûrement surprise de mon souvenir; mais je veux absolument me recommander avec elle, car je voudrais être aimée de tout ce qui vous approche.

Je ne puis finir cette Lettre sans vous conter une petite histoire qui vous fournira certainement le sujet de plus d'une réflexion. Le Chevalier D*** & le Comte de C**** il y a environ quinze jours, eurent au jeu une assez légère contestation qui n'eut aucune suite. J'ai soupai le lendemain chez la belle-mère de Madame d'Ostalis, il y avait beaucoup de monde, on parla de cette histoire, tous les hommes la trouveront fort simple; mais plusieurs femmes témoignèrent de l'étonnement de ce que le Chevalier D*** ne s'était pas battu; entr'autres, Madame de Senanges, qui, avec cet air capable & cette voix aigre que vous lui connaissez, s'écria que cela était étrange, inouï, & que si le Chevalier était son frère, ou son ami, assurément elle ne lui cacherait pas son opinion la-dessus. Ce discours s'adressait au Vicomte de Blezac, qui n'osant l'approuver ouvertement, se contenta de sourire, eu faisant une mine très équivoque. Alors, on se mit a chuchoter, en reprit l'histoire pour la conter à demi-bas, d'une manière toute différente, chacun y ajouta tous les ourdir qu'il avoir pu recueillie; pendant un quart d'heure on n'entendit plus dans la chambre que les exclamations; cela est incroyable, cela n'a pas de nom, &c. Enfin il est décidé que le Chevalier D*** doit se battre, ou qu'il est poltron. Le lendemain il apprend cet arrêt, il le trouve ce qu'il est, c'est-à-dire atroce & absurde; mais il n'avait pas deux partis à prendre, il va trouver le Comte de C**** & part avec lui pour aller se battre sur les frontières; le pauvre Chevalier à reçu trois coups d'épée, dont il a été a la mort; mais enfin il est hors de danger & revient incessamment; voilà pourtant le fruit du bavardage de trois ou quatre femmes aussi inconsidérées; mais enfin il est hors de danger & revient incessamment; voilà pourtant le fruit du bavardage de trois ou quatre femmes aussi inconsidérées que méchantes! Elles entendent bien mal leurs intérêts en se permettant de parler aussi légèrement sur la conduite des hommes! car se derniers peuvent si facilement s'en venger! Il est bien plus aisé d'accuser avec vraisemblance une femme honnête d'avoir un amant, qu'il ne l'est de faire passer un homme brave pour un poltron; & en vérité nous ne devons pas nous étonner d'être aussi souvent calomniées par les hommes, quand nous les traitons nous-mêmes avec si peu de ménagement. Adieu, ma chère amie, il y a déjà deux grands mois que nous sommes séparées; vous dites si fort jolies choses sur l'absence, mais pour moi je ne puis la trouver qu'insupportable, lorsqu'elle me prive de vous,____Envoyez-moi donc la description de votre Château.